Rubriques livres: 'Le pressentiment', par Emmanuel Bove
Je viens de refermer 'Le pressentiment', roman écrit en 1935 par Emmanuel Bove, auteur français de la première moitié du vingtième siècle. Décédé en 1945, il aura alterné les périodes de succès et celles de relatif anonymat, son oeuvre tombant quasiment dans l'oubli après les années cinquante. Il est actuellement de plus en plus lu, comme un juste retour de notoriété au vu de la qualité de ses écrits.
C'est en regardant des bandes-annonces de films que j'ai découvert 'Le pressentiment'. En effet, l'excellent Jean-Pierre Darroussin, acteur (Le coeur des hommes, Un air de famille, etc.) et désormais réalisateur, a mis en scène l'histoire de ce livre afin de la porter sur grand écran. N'ayant pas l'occasion d'aller au cinéma voir le film (forcément...), je me suis rabattu sur le bouquin...et bien m'en a pris, tellement je l'ai apprécié!
Tout se passe en 1931, à Paris, au moment où Charles Benesteau, avocat plutôt bourgeois et de bonne famille, décide de quitter les quartiers huppés de la capitale et d'aller s'installer avenue du Maine, dans le XVème arrondissement (on appréciera le décalage, au vu des prix pratiqués désormais dans ce quartier ;-) ). Une idée qui ne sied pas à sa famille, notamment à ses frères, qui reprochent à Charles son entêtement à aller s'isoler au milieu des 'petites gens', ouvriers et femmes de ménage. Mais voilà, Charles a décidé de laisser tomber sa carrière dans le droit, et de se consacrer à sa vraie passion: l'écriture. Et pour écrire au calme, et trouver l'inspiration, rien de tel qu'un changement de vie...Une fois sur place, dans son nouvel appartement, Charles va pouvoir observer la vie de ses nouveaux voisins, leurs histoires sans intérêt, les cancans du quartier, les médisances des uns à l'encontre des autres...La vie simple, tranquille, sans objectif, où seul le lendemain compte. Bien malgré lui, il sera à son tour au centre d'un de ses histoires quotidiennes...Il devra affronter ses frères, qui chercheront sans cesse à lui faire recouvrer le bon sens, sa concierge, qui l'a pris en grippe, et certains de ses voisins qui ne voient en lui qu'un riche bienfaiteur. Lassé des bourgeois sans intérêt, incapables à ses yeux de la moindre complaisance ou gentillesse, il découvrira ainsi une toute autre vie. Tout n'y est peut-être pas réussi, mais au moins, Charles aura eu le mérite d'essayer. Ce qui est déjà beaucoup.
Le roman se lit comme une nouvelle; l'action n'y est pas palpitante mais ce n'est pas le but recherché. Emmanuel Bove sait utiliser des mots simples pour décrire les gens et des situations du quotidien. Pendant les quelques jours qui m'ont suffi à dévorer 'le pressentiment', j'ai eu l'impression d'être à Paris, moi-même observateur des pérégrinations du héros. Une immersion totale dans une époque où les classes sociales étaient encore bien séparées, où les gens se vouvoyaient et parlaient un français de bonne qualité...Une époque où d'immenses platanes bordaient les avenues, où les voitures étaient rares, où les hommes portaient des chapeaux et des montres à gousset.
Voilà un auteur qui m'était jusqu'alors inconnu mais dont je vais certainement acquérir les autres romans, tant j'ai aimé le style et le ton de l'histoire. Sous une apparente simplicité, les personnages sont complexes et fouillés. Vraiment, vous passerez un agréable moment à feuilleter ce pressentiment. Un livre à classer dans ma catégorie préférée des romans-qui-parlent-de-gens-qui-changent-de-vie, comme 'L'homme qui voulait vivre sa vie', de Douglas Kennedy, ou le plus sombre 'Je m'en vais', de Jean Echenoz.
Pour le moment, je suis plongé dans une étude sur les civilisations disparues, intitulée 'Effondrement - comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie'. Un vrai livre scientifico-sociologique dont les 600 pages devraient me tenir occupé pendant quelques semaines...Un joli cadeau de papa-maman à Noël, d'ailleurs ;-)