Rubrique films: 'De battre mon coeur s'est arrêté'
Une étrange sensation, comme un mal de ventre diffus, une faible douleur tenace et lancinante, un très léger malaise : voilà ce qu'il reste de ce film lorsqu'apparaît le générique de fin. Mais qu'on me comprenne bien : ce film est génial, un vrai coup de poing à l'estomac, un truc qui vous marque et vous réconcilie avec le cinéma français. César du meilleur film en 2004, cette oeuvre de Jacques Audiard consacre surtout Romain Duris comme l'un des tout meilleurs acteurs de l'hexagone.
Tom, le personnage incarné par Romain Duris, est présent dans quasiment chaque séquence, attirant la caméra de façon magnétique. A près de 30 ans, il suit en somme la même carrière que son père, campé par un Niels Arestrup désabusé et un peu 'viel ours' : il fait dans l'immobilier. Mais pas dans l'immobilier classique, où l'on achète et l'on vend des biens. Non, non, Tom et ses associés sont du genre prêts à tout pour arriver à leurs fins et pour déloger d'éventuels squatteurs ou mauvais payeurs : contrats véreux ou antidatés, barres à mine, rats, passages à tabac, tout est bon. Musique électronique sur les oreilles, Tom traverse cette vie de quasi-gangster sans but précis.
Pourtant, au fond de lui hibernent des passions, des secrets, dont le plus important est son rêve d'antan : devenir pianiste, comme sa défunte mère. Mais depuis la disparition de celle-ci, Tom n'a plus touché un piano. C'est une étincelle, un coup d'oeil, la rencontre fortuite avec une ancienne connaissance qui va faire rejaillir à la surface cette passion enfouie. Revigoré, avec enfin un but dans l'existence, Tom va travailler d'arrache-pied pour retrouver son niveau. Bien entendu, cela va avoir des conséquences importantes sur ses 'autres activités', ses associés lui reprochant de ne pas être assez concerné. Il ne peut même pas compter sur le soutien de son père; personne ne semble saisir l'importance de ce moment pour Tom. Il va même rencontrer l'amour, mais du genre compliqué, pas facile à gérer. Mais malgré tous ses efforts et l'aide d'une prof de piano, Tom n'arrive pas vraiment au niveau souhaité, ce qui augmente sa frustration. Puis un évènement inattendu va tout changer, de façon radicale...
Voilà un film sombre, aux mouvements de caméra permanents, dont le rythme varie avec les émotions de Tom. Quand j'étais petit et que je demandais à mon papa, en voyant le programme télé : "C'est quoi papa, un 'drame'?", il me répondait "bah c'est pas une comédie". Donc pour moi, pendant longtemps, il y eut deux catégories de films : les rigolos, et les pas rigolos. Inutile de préciser que j'évitais la seconde catégorie. Et bien 'De battre mon coeur s'est arrêté' est un drame, un vrai de vrai. Une tranche intense de l'existence d'un homme comme nous tous, fort en apparence mais fragile à l'intérieur, refoulant des envies et des passions pourtant salvatrices. Les personnages secondaires, à commencer par la douce Aure Atika (La vérité si je mens), sont tous très justes et apportent chacun un angle différent au film, touchant chacun un aspect différent de la personnalité de Tom.
Romain Duris est tout simplement grand. Il vit son rôle avec une implication et un naturel incroyable, incarnant tantôt l'angoisse et la peine, tantôt la quasi-jouissance naissant d'un accord de piano réussi. Nos sensations à son égard évoluent au cours du film, on passe de l'envie de le baffer et de le secouer à celle de le serrer fort dans nos bras (euh, pour les filles s'entend!). Il est totalement transporté par son rôle.
Jacques Audiard, déjà réalisateur du très bon 'Sur mes lèvres', avec Vincent Cassel et Emmanuelle Devos, signe une oeuvre magistrale. A posséder absolument, et à regarder d'urgence. Mais je vous aurai prévenus : ce film va vous marquer pour un moment...